Georges de La Tour (1593-1652)
Adoration des bergers (1645)
Cinq personnes sont assises en cercle autour d’un nouveau-né. A l’intérieur de ce cercle, l’enfant et la lumière.
Parmi ces personnages, la Vierge Marie est celle qui occupe la place la plus importante. Le point de vue adopté par le peintre nous permet de la voir en entier et entièrement éclairée. En général, elle surprend les spectateurs car elle ne ressemble pas à une Vierge « habituelle ». Ses yeux légèrement bridés la font ressembler à une femme asiatique et sa robe rouge ne nous est pas familière. Elle se tient droite et paraît même en retrait si on la compare au jeune berger qui est à côté d’elle. Souvent les spectateurs s’étonnent aussi de l’expression de son visage. Mais en fait, il est rare de voir une Vierge Marie souriante. La plupart du temps, les peintres lui donnent une expression de gravité méditative. Elle sait les circonstances de la conception de l’enfant, elle s’interroge sur son mystère et l’Evangile nous dit « qu’elle gardait toutes ces choses dans son cœur ».
Avertis par les anges, deux bergers et une bergère sont venus voir l’enfant. Le premier à gauche semble le regarder. Il tient fermement son bâton. Le second qui tient une flûte, salue l’enfant en soulevant son chapeau, il sourit et se réjouit au spectacle du nouveau-né. La Bergère regarde l’enfant en silence et apporte en cadeau un pot de nourriture. Elle aussi se tient bien droite.
A droite, Joseph assis tient la chandelle qui éclaire la scène. Il est le symétrique de Marie mais il est le personnage que l’on voit le moins. La moitié inférieure de son corps disparaît dans le contre-jour et la partie supérieure est relativement peu éclairée. Ceci souligne certainement l’humilité de cet homme qui remplit son rôle en toute discrétion. De sa main droite il tient la bougie dont la flamme éclaire la scène. De sa main gauche, il la protège. Son rôle de père n’est-il pas résumé dans ce geste ? la fragile vie d’un nouveau-né a besoin de la protection d’un père, fut-il la Lumière du monde.
Intéressons-nous à l’enfant. Au centre de cette assemblée silencieuse, il est la partie la plus claire du tableau. Ses yeux sont fermés. Il dort. Ici, les réalités profanes et les réalités de foi se superposent. La vue d’un nouveau-né et le sommeil d’un enfant sont déjà des causes d’émerveillement et de recueillement silencieux. Mais le fils de Dieu mérite aussi l’adoration dont témoignent les mains priantes de la mère et le silence recueilli des bergers. Dans la tradition picturale, le sommeil de l’enfant Jésus a souvent été considéré comme une préfiguration de sa mort. Le montrer immobile, emmailloté dans des bandelettes est certainement aussi une manière d’associer au mystère de sa naissance, le mystère de sa mort. La présence de l’agneau à ses côtés l’est de toute évidence. Il nous rappelle que Jésus est l’agneau pascal dont le sacrifice sauvera l’humanité.
La méditation de Marie porte aussi sur ce sujet. Un détail de sa figuration semble l’attester : ses mains. Elles ne sont pas jointes comme dans un geste traditionnel de prière ou d’adoration. Ici, curieusement les doigts s’entrecroisent. Cette disposition permet à la lumière de projeter une ombre très particulière sur la robe. L’ombre projetée ressemble au motif d’une palme. Et la palme renvoie au martyre.
Le cercle des assistants recueillis forme comme une alcôve qui contient de l’enfant. Il est le lieu au milieu duquel l’enfant est présent. Ainsi, il est une figure de l’humanité ou de l’Eglise. L’assemblée est le lieu de la présence du Christ. N’oublions pas que le mot église signifie l’assemblée.
Je vous invite à terminer cette méditation par l’agneau. Lui aussi fait partie de l’assemblée qui entoure l’enfant. Parmi les membres de cette assemblée, il est celui qui est le plus proche de l’enfant, et s’il s’est approché, c’est parce qu’il a faim et qu’il mange les brins d’herbe de la mangeoire.
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Au premier degré de la narration, il est fait partie du troupeau d’un berger et il est venu avec son maître.
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Un second niveau de lecture nous le fait voir comme un symbole de l’agneau pascal.
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Un troisième nous le fait interpréter comme un disciple candide s’approchant en confiance du bon Pasteur et recevant de lui sa nourriture… un modèle de disciple.
Stéphane Coviaux (Professeur d’histoire en classes préparatoires littéraires au lycée Joliot-Curie de Nanterre).

